J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète, Sculpteur ou Peintre d’éternité au présent… Quel repas, dis-tu, avons-nous partagé ? À quand, et avec qui , le prochain ? On verra... On lira ... | Marie-Thérèse PEYRIN - Janvier 2015

HISTOIRE DE VIE RACONTEE

ETAT DES YEUX : Lectures impérieuses | Anne PAULY | Avant que j'oublie

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Il est des lectures qui s'imposent à moi sans que je l'aie vu venir... En trois ou quatre lampées  d'attention extrême, le livre d'Anne Pauly a déboulé sur ma table de chevet embouteillée... J'ignore si le battage médiatique m'a influencée, mais ce titre a immédiatement percuté mon esprit et résonné comme un écho à mes sentiments actuels. La lecture n'a fait que confirmer mon intuition. Ce livre là, au moment même où je me coltine les humeurs de deuil imposées par la vie ne pouvait pas tomber mieux.  Je fais partie des lectrices qui ne dédaignent pas les mots des autres pour qualifier des expériences universelles. Perdre ses parents, sa parenté, ses ami.e.s semble constituer le répétitif contexte dans lequel je poursuis mon chemin dans la vie. Après 60 ans,la liste des rendez-vous funéraires s'allonge ...

  Aucun deuil ne ressemble à un autre mais les ingrédients et les paliers de décompression sont les mêmes. Le temps dilue l'impact de la séparation, les choses matérielles et immatérielles se transforment jusqu'à devenir une abstraction familière bercée par la mémoire et revigorée par certaines rencontres, y compris dans un livre... Les gens n'aiment pas parler de la mort et de la douleur qui s'y agrippe, c'est pourtant aussi indispensable que de parler de la vie qui continue et qui n'a pas de limites lorsqu'on la respire à fond de poumons... C'est cela qui me semble prioritaire : reprendre une respiration ordinaire, la plus ample possible , après la mort de quelqu'un de cher... respirer pour deux pendant le temps nécessaire, comme en plongée...lorsqu'on prête l'embouchure d'un tuyau à celui ou celle qui sinon se remplirait d'eau et sombrerait plus vite dans les abysses de l'oubli... 

Pour la plupart des mortels, la vie terrestre est plus drôle à évoquer , avec ses incongruités hilarantes ou agaçantes , ses ratages pathétiques, ses erreurs capitales, ses petits triomphes passagers, mais on ne retient parfois que les blessures et les trahisons. Les tourments  réels ou imaginaires laissent plus de traces indélébiles que la banalité de l'amour lorsqu'il  s'exprime à demi-mots, à demi-gestes, comme un encombrant intermittent. Il est parfois absent et totalement refoulé... On ne peut donner que ce qu'on a reçu, a minima lors de furtifs hommages d'obsèques ou avec talent comme dans ce texte formidable et cathartique...

Le livre d'Anne Pauly a plu à une grande palanquée de lecteurs et lectrices, et il a eu un prix. Nul doute qu'il corresponde à l'air du temps et aux styles des relations familiale et amoureuse des contemporains. Qu'est - ce que le lien filial ? Quelles sont les loyautés qu'il tisse selon qu'on est fille ou garçon ? Comment se tire-t-on d'une enfance bousculée par la maladie alcoolique parentale ?  Qu'est-ce qu'apporte un couple ? Qu'est-ce qu'il altère au fil d'un compagnonnage aventureux et douloureux ? Comment se déguise l'amour en violence et en domination unilatérale ? Qu'est-ce qui se transmet  et se transforme chez les héritiers  ? Qu'est-ce que l'héritage ? Comment restaurer la tendresse sur les gravats de la mémoire ? 

Lorsque je relirai ce livre ( pas tout de suite...) , je le lirai autrement...  Je le ferai lire en attendant, mais pas à n'importe qui et à n'importe quel moment. C'est un livre à laisser dans une boîte à livres anonyme, quelque part, n'importe où, en ville ou à la campagne, je l'offrirai avec prudence, les yeux dans les yeux, à des personnes à qui ça peut faire du bien, mais comme je n'en serai pas certaine, j'en parlerai plutôt à la sauvette,comme on raconte sa vie à des inconnu.e.s par bribes interposées. Il existe une multitude de livres sur ce sujet, mais certains émergent comme des nageurs inattendus...

Cet extrait pour donner une idée du style, ci-dessous  ( c'est un livre dont j'ai souligné des lignes , seulement à la fin, comme pour ralentir la chute de mon attention...

 

" Comment vraiment savoir ce qui avait compté et ce 

qui faisait sens sans relire chaque courrier, sans ouvrir

chaque placard, sans toucher chaque tissu ? Comment

renoncer à traquer, dans chaque recoin, pour n'en rater

aucun, les fils encore incandescents de son passage ici ?

Et  puis, pour m'en débarrasser, encore aurait-il fallu 

que ces choses m'encombrent, or il n'en était rien: je ne

voyais pas quel soulagement psychique il pourrait bien

y avoir, juste après l'avoir perdu lui, à me séparer de tout

ce qui avait constitué le décor de sa vie, de la mienne,

de la nôtre et à ajouter du désordre à la désolation."


André ROUMIEUX Les Retournaïres, présentation audio

 

JAQUETTE LIVRE  LES RETROURNAÏRES  ANDRE ROUMIEUX  2010
 

Editions "Les Monédières" 2010

 

Avec son dernier livre publié LES RETOURNAÏRES, André Roumieux achève un long parcours de vie qui l'aura mené du Lot à la région parisienne puis ramené à son village natal Mayrinhac-Lentour où il savoure une retraite amplement méritée. Pour des raisons que je décrirai à l'occasion, il est devenu un ami avec qui je partage notre expérience commune des soins en psychiatrie. Si je fais le choix de parler de cet homme à travers ses livres, c'est que j'ai conscience que la psychiatrie aux yeux du grand public est l'affaire des médecins psychiatres ou neurologues, qui n'ont d'ailleurs pas vraiment bonne presse du fait qu'on leur reproche leur incapacité à débarrasser la société du personnage légendaire du fou, ou encore de lui réserver un sort de gibier de l'industrie pharmaceutique, sans parler du lâchage que préconisent les nouvelles théories de soins sans hébergement en vogue. Les neurosciences ont supplanté les approches psychanalytiques et de psychothérapie institutionnelle des années 70, mais le malade mental (on dit psychique aujourd'hui) reste à la fois "unique et légion", sa dépendance à un environnement bienveillant et aidant relève d'une solidarité communautaire qui est loin d'être optimum dans le contexte économique  actuel. Les soignants de proximité et au long cours sont confrontés aux mêmes problèmes qu'à la création des asiles. Leurs réponses sont toujours celles que leur permet la politique et les dispositifs d'accueil temporaires ou résidentiels. A l'époque d'André Roumieux, au tout début de sa carrière,  lieu de vie et lieu de soin n'étaient pas distingués, ce qui explique le véritable déracinement de certaines personnes de leur milieu d'origine du fait de leurs troubles de comportement ou de leurs difficultés mentales graves  indésirables en société et en famille. Il a donc assisté à l'ouverture des hôpitaux psychiatriques et aux grandes interrogations sur le devenir de ces populations fragiles confrontés à la vie extérieure et à la nécessité pour une grande majorité d'endosser le statut de personne porteuse d'un handicap très contraignant, les privant parfois de liberté de déambulation et la soumettant à une tutelle médicale et parfois judiciaire de très longue durée.

Comme les soldats, les infirmier(e)s en psychiatrie sont soumis au devoir de réserve et de confidentialité, ce qui les empêche de façon statutaire d'exprimer leur ressenti concernant leurs conditions d'exercice et leur propre vision des soins. Ils subissent donc une sorte de loi de silence qui ne peut être bénéfique qu'en partie. Tout un pan de leur expérience et la compréhension des enjeux humains des soins leur est confisqué. On leur demande d'agir et d'interagir, si possible avec des protocoles et des procédures , ce qui leur évite d'avoir à penser et à critiquer au cas par cas leur propre façon de faire et d'être avec les malades.  La difficulté survient lorsqu'il faut persuader ou contraindre un malade à accepter des soins qu'il n'a pas choisis (une injection, une contention, un séjour en chambre d'apaisement...). C'est la grande différence avec les soins somatiques où  la notion de consentement éclairé qui est obtenu par le médecin et appliqué sur prescription par l'infirmier ou les autres paramédicaux, peut être plus difficile à vivre en psychiatrie par les protagonistes. Avec le renouveau du sécuritaire en France, le nouvel infirmier doit pouvoir se positionner humainement dans son rapport à la violence de son intervention, au regard du bien-être du malade et du risque d'attenter à sa liberté. Il a donc à partager une éthique du soin qui est rarement évoquée dans sa pratique en équipe au delà de la technicité et de la sécurité des actes. Méconnu du grand public, l'infirmier en psychiatrie est encore le grand lascar qui intimide et empoigne le malade récalcitrant plutôt que de lui parler, dans la réalité, la profession est devenue très féminine, la formation s'est enrichie de connaissances en sciences humaines et techniques de soins plus affinées, les méthodes de soutien ont changé du fait de la personnalisation dans les suivis à l'extérieur, le temps d'hospitalisation complète étant réduit au maximum ( trois semaines en moyenne). L'hôpital qu'a connu André Roumieux  n'a plus rien à voir avec celui que je côtoie, et pourtant les fondamentaux du métier n'ont pas changé. Il s'agit de respect, de compassion, d'attention et de disponibilité soutenues dans le temps et l'espace. Il s'agit d'équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle afin de ne pas perdre pied,ni courage devant l'adversité et la souffrance.

 

Voici maintenant, pour votre écoute, un premier épisode de la vie  d'André ROUMIEUX. La suite sera publiée petit à petit tout l'été au fil de mon humeur...

il vous suffit de cliquer sur ce petit rectangle gris ci-dessous

 

PRESENTATION ANDRE ROUMIEUX